Allocutions Publiques de l'Amirauté

Calmer le jeu

Ori'n descendit de la jeep encadrée par une demi-douzaine de soldats de la flotte. Ces derniers, portant leurs longues vareuses bleues, leurs bérets et leurs fusils de parade, sécurisaient les abords de la station de radio, accompagnés par les services de sécurité de cette dernière, et par la vingtaine d'hommes embarqués dans le VBCI qui accompagnait le convoi de l'amiral. Plusieurs centaines de personnes étaient venues assisté à la première sortie publique de l'amirale. Elle prit donc le temps de serrer quelques mains, d'adresser un mot encourageant et d'écouter certains de ses administrés pour tenir compte de leurs problèmes. Concord n'était pas une démocratie, et elle ne le serait probablement jamais. Mais Ori'n n'avait pas l'intention non plus de gérer les vies des gens qui comptaient sur elle comme un tyran obnubilé par ses propres lubbies. Le peuple réclamait des logements, et de la nourriture différente de celle qu'on lui avait donné jusqu'à présent (à savoir des conserves). Certains se plaignait de devoir travailler alors que des Marnariens et quelques réfugiés humains pouvaient profiter à loisir de leur labeur. D'autres, au contraire, fustigeait le nombre de personnes laissés sans revenus (puisqu'Ori'n avait organisé un système de rationnement qui, s'il garantissait à tout le monde de la nourriture, distribuait les rations en priorité à ceux qui travaillaient). D'autres encore, souvent les familles de soldats, demandaient quand ils pourraient revoir leurs fils, leurs filles ou leurs pères et leurs mères, envoyées à des années lumières de là dans des missions de sécurisation et de défense du territoire.

Ori'n les rassurait tous comme elle pouvait. Elle faisait preuve de clarté, ne cachait pas les objectifs du gouvernement, et rappelait que pour l'heure, les réserves de la colonie étaient encore suffisante pour nourrir tout le monde et alimenter l'industrie en énergie pour huit ans encore. Son objectif était de pouvoir alimenter l'ensemble des usines coloniales en énergie à l'horizon 4305, et de pouvoir nourrir toute la population de Concord d'ici 4308. Elle adressait également ses félicitations à ceux qui travaillaient dur pour la survie de la colonie et clarifiait les missions des flottes envoyées en expédition dans les systèmes voisins : agrandir le territoire du protectorat, localiser de nouvelles ressources, et surtout, secourir les réfugiés isolés, récupérer du matériel, et poursuivre le développement de la colonie.

Elle franchit finalement les "portes" de la station de Radio (qui n'était qu'un ensemble de trois modules préfabriqués assemblés), et fut accueillie par l'animateur du jour et le directeur de cette dernière dans le studio d'enregistrement. On la conduisit à sa place, et à l'heure due, l'interview commença.

[P. Anwheiler] Citoyennes et citoyens de Concord, ici Pierce Anwheiler, pour la Radio Libre et la matinale. Ce matin de 9h à 11h nous recevons ni plus ni moins que la cheffe de l'état, l'Amirale Ori'n Corde ... Bonjour Amirale ...
[Adm. O. Corde] Bonjour Pierce.
[P. Anwheiler] ... avec qui nous ferrons un point d'étape quand au développement de notre nouvelle colonie et qui rendra des comptes à la population elle-même, des décisions du "Big Board". En effet, à partir de 9h30, c'est vous qui pourrez lui poser vos questions, et elle s'efforcera d'y répondre du mieux qu'elle peut. Empressez-vous donc de rejoindre un terminal public et de vous connecter sur RadioLibre.Cndr ou sur le site web de l'Amirauté : Adm-gouv.contact.cndr pour y saisir vos questions.

Avant de venir au clou de cette matinée toutefois, c'est moi qui ouvrirait le bal. Amiral Corde, je vais donc commencer par le vif du sujet : que répondez-vous aux détracteurs de votre décision de laisser débarquer prêt de seize millions de Xenos sur Concord cette année ?
[Adm. O. Corde] Pour commencer, que je ne l'ai pas décidé. Concord est un monde qui, si nous commençons à bien le connaître, reste néanmoins largement incontrôlable pour les maigres forces de notre armée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous laissons en permanence vingt mille hommes à New Providence : afin d'assurer la sécurité de nos concitoyens contre les nombreuses menaces de ce monde. De ce fait, nous n'avons tout simplement pas les moyens d'interdire aux réfugiés de la Voie Lactée de se poser à la surface de cette planète.

Ensuite qu'il serait immoral de le faire, et que Concord ne deviendra pas un état raciste, défenseur d'une soit disant souveraineté de la race humaine. Et que c'est au nom des principes et des valeurs qui ont guidé l'UEF pendant les longues années de la guerre humano-Xenos que nous accueillons, et continueront à accueillir, tout ceux qui entendent participer à la construction d'un état nouveau ici.

Hors, les Marnariens dont nous parlons ont d’ors et déjà commencé la construction de cet état nouveau à vos côtés, et ils ont d’ors et déjà mit leur pierre sur l'édifice de notre future nation. Ils répondent aux critères que le Big Board a posé pour leur intégration, nous n'avons donc pas à leur interdire notre sol.
[P. Anwheiler] Vous dites que nous n'avons pas les moyens de protéger Concord de l'immigration clandestine. Pourtant, pour une population de 40 millions d'habitants, vingt quatre sans les Marnariens, nous comptons une armée de Terre de deux cent mille hommes, et une flotte spatiale conséquente et tout à fait respectable, ce qui place notre monde tout à fait dans la moyenne d'avant-guerre en terme de rapport effectif militaire/population. Cependant, sur ces deux cent mille hommes, seuls vingt mille se trouvent actuellement sur notre sol. Ne croyez-vous pas que nos déploiements à l'étranger dépassent largement nos capacités ?
[Adm. O. Corde] Quarante mille hommes en réalité. Nous revendiquons le système de Concord dans son intégralité, et vingt mille hommes sont actuellement déployés pour se livrer à son exploration. Mais je ne jouerai pas sur les mots. Je vois ou vous voulez en venir.

Et une fois encore, je vous répondrai non. Le déploiement hors de notre système de cent soixante mille homme ne répond en effet pas à un objectif de manifestation de la puissance militaire du Protectorat, mais à un impératif de survie. Il y a, autour de notre étoile, de nombreux systèmes qui abritent potentiellement des ressources et du matériel récupérable pour nous. Matériel qui sera indispensable à notre survie à court terme. En effet, à l'heure actuelle, notre situation est toujours incertaine, et nous avons besoin de consolider nos acquis. Ces hommes sont donc partis pour collecter ce qu'ils pourront trouver et le ramener ici. C'est un impératif de survie. Pas une lubbie mégalomaniaque.
[P. Anwheiler] Vous parliez des "critères d'intégration" du Big Board. Mais d'aucun ici se poseront sans doute la question de savoir sur quoi reposent ces critères ... Vous n'avez pas consulter nos concitoyens pour cela, à priori ...
[Adm. O. Corde] Pensez-vous sérieusement qu'il soit envisageable, alors que nous manquons encore de tout, d'organiser un référendum sur la question de l'intégration Xenos ? N'y-a-t-il pas des sujets plus importants à traiter avant cela ? Nous avons besoin de bras pour produire ce qui nous manque. Les autres réfugiés sont ces bras. Grâce à eux, nous pouvons atteindre les objectifs économiques, qui pour l'heure relèvent de la simple survie, fixés par le Big Board.

Anwheiler questionna ainsi plusieurs minutes durant encore, l'amirale sur des questions de politique intérieure et d'organisation économique, avant que finalement, d'autres problèmes ne soient soulevés par les auditeurs. Et il ne faisait aucun doutes que l'émission était très suivie car Ori'n n'eut littéralement pas le temps de souffler. Heureusement pour elle, la plupart de ces questions portaient sur des problèmes bien plus concrets que les grandes questions idéologiques posées par le responsable des télécommunications. Ori'n eut donc droit à un grand nombre de questions sur le logement et l'installation au chaud et dans des conditions salubres des colons. Elle promit que des cargos seraient convertis en dortoirs communs le temps que la production industrielle permette l'établissement de véritables quartiers d'habitations. On lui demanda quand la production agricole serait enfin en mesure de fournir des aliments frais, on lui demanda aussi si les xenos allaient franchir le trou noir et envahir New Eden, si d'autres planètes de la voie lactée avaient put envoyer des flottes par ici ou s'ils étaient vraiment le seul état établit de la région, si il était possible de communiquer avec d'autres humains dans la voie lactée, si la guerre pouvait enfin être considérée comme terminée, ou si la colonie reprendrait les armes contre les Xenos.